81-83 (Le rire de Dieu est parfois grossier et indécent pour des oreilles ...)

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81 — Le rire de Dieu est parfois grossier et indécent pour des oreilles pudibondes; il ne Lui suffit pas d'être Molière, Il se veut aussi Aristophane et Rabelais.

82 — Si les hommes prenaient la vie moins au sérieux, ils pourraient bien vite la rendre plus parfaite. Dieu ne prend jamais Son travail au sérieux; c'est pourquoi nous avons le spectacle de cet univers prodigieux.

83 — La honte a des résultats admirables, et nous ne saurions guère nous en passer tant en morale qu'en esthétique; ceci dit, elle n'en est pas moins un signe de faiblesse et une preuve d'ignorance.

On peut se demander en quoi le fait de prendre les choses au sérieux a empêché que la vie soit plus parfaite?

La vertu a toujours passé son temps à supprimer des choses dans la vie et, si l'on avait mis ensemble toutes les vertus des différents pays du monde, il resterait fort peu de choses dans l'existence.

La vertu prétend rechercher la perfection, mais la perfection est une totalité. Alors les deux mouvements se contredisent : une vertu qui élimine, qui réduit, qui fixe des limites, et une perfection qui admet tout, qui ne rejette rien mais qui met chaque chose à sa place, ne peuvent évidemment pas s'entendre.

Prendre la vie au sérieux consiste généralement en deux mouvements; le premier est de donner de l'importance à des choses qui, probablement, n'en ont pas, et le second de vouloir que la vie soit réduite à un certain nombre de qualités qui sont considérées comme pures et dignes d'existence. Chez certains (ceux, par exemple, dont Sri Aurobindo parle ici, les "pudibonds" ou les puritains), cette vertu devient sèche, aride, grise, agressive, et elle trouve des fautes partout, dans tout ce qui est joyeux, libre et heureux.

Le seul moyen de rendre la vie parfaite (j'entends ici, la vie sur terre, bien entendu), c'est de la regarder d'assez haut pour la voir dans son ensemble; non seulement dans sa totalité présente mais dans l'ensemble du passé, du présent et de l'avenir; ce qu'elle a été, ce qu'elle est, ce qu'elle sera — il faut être capable de tout voir à la fois. Parce que c'est le seul moyen de tout mettre à sa place. Rien ne peut être supprimé, rien ne doit être supprimé, mais chaque chose doit être à sa place dans une harmonie totale avec le reste. Et là, toutes ces choses qui semblent si "mauvaises", si "répréhensibles", si "inacceptables" à l'esprit puritain, deviendraient les mouvements de joie et de liberté d'une vie totalement divine. Et alors, rien ne nous empêcherait de savoir, de comprendre, de sentir et de vivre ce rire merveilleux du Suprême, qui prend une joie infinie à se regarder vivre infiniment.

Cette joie, ce rire merveilleux qui dissout toutes les ombres, toutes les douleurs, toutes les souffrances ! Il suffit de rentrer en soi assez profondément pour trouver le Soleil intérieur, se laisser baigner par lui; et alors, tout n'est plus qu'une cascade de rire harmonieux, lumineux, solaire, qui n'admet plus nulle part l'ombre et la douleur.

En fait, même les plus grandes difficultés, même les plus grands chagrins, même les plus grandes douleurs physiques, si l'on peut les regarder de cette place-là, en se tenant là, on voit l'irréalité de la difficulté, l'irréalité du chagrin, l'irréalité de la douleur — et tout n'est plus que vibration joyeuse et lumineuse.

C'est au fond le moyen le plus puissant de dissoudre les difficultés, de surmonter les chagrins et de faire disparaître les douleurs. Les deux premiers sont relativement faciles (je dis relativement), le dernier est plus difficile parce qu'on est habitué à considérer le corps et ce qu'il sent comme extrêmement concret, positif; mais c'est la même chose, c'est simplement parce que l'on n'a pas appris et nous n'avons pas pris l'habitude de regarder notre corps comme quelque chose de fluide, de plastique, d'incertain, de malléable. Nous n'avons pas appris à y introduire ce rire lumineux qui dissout toutes les ombres, toutes les difficultés, tous les désaccords, toutes les désharmonies, tout ce qui grince, qui crie et pleure.

Et ce Soleil, ce Soleil du rire divin, il est au centre de toute chose, la vérité de toute chose — ce qu'il faut, c'est apprendre à le voir, à le sentir, à le vivre.

Et pour cela, évitons les gens qui prennent la vie au sérieux, ce sont des êtres bien ennuyeux.

Dès que l'atmosphère devient grave, on peut se dire que quelque chose ne va pas, une influence fâcheuse, une vieille habitude qui essaye de se réaffirmer et qui ne doit pas être acceptée. Tous ces regrets, tous ces remords; le sens de l'indignité, le sens de la faute, et puis, un pas de plus, et c'est le sens du péché—oh! ça... il me semble que cela appartient à un autre âge, un âge d'obscurité.

Mais tout ce qui persiste, qui essaye de s'accrocher et de durer, toutes ces interdictions — et cette façon de trancher la vie en deux : les petites choses et les grandes, le sacré et le profane... "Comment! diront ces gens qui font profession de mener une vie spirituelle, pour de si petites choses qui ont si peu d'importance, comment peut-on en faire l'objet d'une expérience spirituelle!" Et pourtant, c'est une expérience qui devient de plus en plus concrète et réelle, même matériellement : il n'y a pas "des choses" où le Seigneur est là et des choses où Il n'est pas là. Le Seigneur est toujours là — Il ne prend rien au sérieux, Il s'amuse de tout et Il joue avec vous, si vous savez jouer. Vous ne savez pas jouer, les gens ne savent pas jouer. Mais comme Il sait jouer, Lui ! Comme Il joue bien ! à tout, à de toutes petites choses. Tu as des objets à mettre sur la table? Ne crois pas qu'il faille penser et arranger, non, on va jouer : on va mettre ça ici et puis ça là, et puis ça comme cela. Et puis une autre fois c'est encore autrement... Quel beau jeu, si amusant.

Alors, c'est entendu, nous tâcherons de savoir rire avec le Seigneur.

14 janvier 1963

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