28 septembre 1963

Nyomtatóbarát változat
l'Agenda de Mere. Volume 4. 28 aoűt 1963

Mčre

l'Agenda

 

Tu te souviens du colloque de Savitri avec la Mort?... D'après cela, Sri Aurobindo a l'air de dire que le Désordre est arrivé quand la Vie est entrée dans la Matière.

(Mère feuillette le gros cahier de sa traduction)

Quoique Dieu ait fait le monde pour Sa félicité,

Un Pouvoir ignorant en a pris charge et a semblé être Sa Volonté

[Although God made the world for his delight,

An ignorant Power took charge and seemed his Will]

C'est-à-dire que ce Pouvoir a pris l'apparence de Sa Volonté.

Et la profonde fausseté de la Mort a maîtrisé la Vie.

Tout devint le jeu d'un Hasard simulant le Destin.

[And Death's deep falsity has mastered Life.

All grew a play of Chance simulating Fate.]

(X.III.629)

Et avant, Sri Aurobindo écrit:

Ô Mort, ceci est le mystère de ton règne...

[O Death, this is the mystery of thy reign.]

Il a l'air de dire que c'est seulement sur la terre:

Dans le champ anormal et tragique de la terre,

Portée dans son voyage sans but par le soleil

Au milieu des marches forcées de grandes étoiles muettes,

Une obscurité occupa les champs de Dieu...

[In earth's anomalous and tragic field

Carried in its aimless journey by the sun

Mid the forced marches of the great dumb stars,

A darkness occupied the fields of God,]

(Mère répète)

Une obscurité occupa les champs de Dieu,

Et le monde de la Matière fut gouverné par ta forme.

[A darkness occupied the fields of God,

And Matter's world was governed by thy shape.]

La forme de la Mort.

Ton masque a couvert la face de l'Eternel

[Thy mask has covered the Eternal's face,]

C'est admirable! 

La Félicité qui fit le monde s'est endormie.

Abandonnée dans l'immensité elle sommeilla:

Une transmutation mauvaise s'empara

De ses membres jusqu'à ce qu'elle ne se reconnût plus.

[The Bliss that made the world has fallen asleep.

Abandoned in the Vast she slumbered on:

An evil transmutation overtook

Her members till she knew herself no more.]

(X.III.627)

Etc., tout un passage. Et il a l'air de dire que c'est au moment où la Vie est entrée dans la Matière inerte, qu'une Puissance ignorante... ce que j'ai dit au commencement:

Un Pouvoir ignorant en a pris charge et a semblé être Sa Volonté

Et la profonde fausseté de la Mort a maîtrisé la Vie.

[An ignorant Power took charge and seemed his Will

And Death's deep falsity has mastered Life.]

Par conséquent, d'après cela, la Mort n'existerait que sur la terre.

(silence)

C'est ce que je suis en train de traduire (Mère referme son cahier).

Quelles conclusions en tires-tu?

Il faut que j'aille jusqu'au bout pour comprendre ce qu'il veut démontrer.

N'est-ce pas, j'avais toujours eu l'impression que la terre était une représentation symbolique de l'univers de façon à concentrer le Travail sur un point pour qu'il puisse se faire d'une façon plus consciente et voulue. Et j'ai toujours eu l'impression que Sri Aurobindo pensait comme cela aussi. Mais là... J'avais lu Savitri, je n'avais pas remarqué cela. Et maintenant que je le lis et que je suis tellement dans ce problème... C'est-à-dire que c'est presque comme si c'était LA question que l'on m'a donnée à résoudre.

Je me suis aperçue de cela en lisant.

(long silence)

Cela donnerait une sorte de légitimité ou de raison d'être à ceux qui veulent échapper complètement à l'atmosphère terrestre. L'idée serait que la terre est une expérience spéciale du Suprême dans Son univers; et alors ceux qui n'ont pas un goût très prononcé pour cette expérience (!) préfèrent en sortir (pour dire les choses d'une façon assez familière).

La différence est celle-ci: dans un cas, c'est une concentration du Travail (c'est-à-dire qu'il peut être plus rapide, plus conscient, plus parfaitement fait ici), alors il y a une raison sérieuse de rester et de le faire. Dans l'autre cas, c'est seulement une expérience au milieu de milliers d'autres, ou de millions d'autres; et si cette expérience ne vous paraît pas particulièrement intéressante, il est légitime de vouloir en sortir.

Je ne vois pas comment un point du Suprême pourrait ne pas être tout le Suprême. S'il y a une difficulté là, c'est une difficulté pour tout, non?

Pas forcément.

Pourquoi y aurait-il quelque chose d'à part?

Tout dépend, en fait (riant) de ce qu'il veut en faire!

On peut très bien concevoir qu'il fasse des expériences très diffé-

rentes les unes des autres. Et on pourrait passer d'une expérience à l'autre, n'est-ce pas.

Ce serait comme le Bouddha l'a dit: c'est un attachement, un désir qui vous tient ici, mais il n'y a pas de raison que vous y restiez.

(le disciple proteste sans mots)

Pour moi, tout est possible, n'est-ce pas, absolument tout est possible, même les choses qui paraissent les plus contradictoires – ça, je n'ai aucune possibilité d'objection mentale ou logique ou raisonnable, que ce soit comme ceci ou comme cela. Mais la question... (Mère reste au milieu de sa phrase). C'est-à-dire que la Volonté du Seigneur, pour Lui, est très claire, et que (riant) le tout est de s'unir à cette Volonté et de la connaître.

Pour moi, il m'avait toujours paru que c'était comme cela (la terre, point de concentration symbolique), mais j'ai tellement la conviction que Sri Aurobindo a vu plus vrai et plus totalement que n'importe qui, que, naturellement, quand il dit quelque chose, on a tendance à considérer le problème!

Je ne sais pas, je ne suis pas allée jusqu'au bout de Savitri maintenant. Parce que je m'aperçois (à une distance de quelques mois, pas même deux ans que je le relis) que c'est tout autre chose que la première fois où je l'ai lu. Tout autre chose: il y a infiniment plus que ce dont j'avais eu l'expérience; mon expérience était limitée, et maintenant elle est beaucoup plus complète (peut-être que si je le relisais encore dans un an ou deux, ce serait encore plus complet, je ne sais pas), mais il y a beaucoup de choses que je n'avais pas vues la première fois.

Ce passage que je viens de lire est peut-être seulement un aspect?... Je vais voir quand j'irai jusqu'au bout.

Ce qu'il annonce, et ce dont je suis sûre, c'est que la Victoire sera remportée sur la terre, et que la terre deviendra un être progressif (éternellement progressif) dans le Seigneur – c'est entendu. Mais ça n'empêche pas l'autre possibilité. L'avenir de la terre, il l'a annoncé clairement et c'est entendu que c'est l'avenir de la terre; seulement si cette possibilité (la mort, phénomène exclusivement terrestre) est ce que l'on pourrait appeler «historiquement» vraie, cela donnerait une sorte de légitimation à l'attitude de ceux qui s'en vont. Comment se fait-il que le Bouddha, qui était un Avatar indiscutablement, ait tant insisté sur le Départ comme conclusion? Et lui, il n'est resté que pour aider les autres... à s'en aller plus vite. Alors, c'est qu'il n'aurait vu qu'une partie?...

Ah! oui.

Mais s'il y a tout un univers, des milliers d'univers où les modes sont tout à fait différents, et que ce soit seulement un CHOIX pour être ici... alors le choix est libre, n'est-ce pas – il y a ceux qui aiment la conquête et la victoire, il y a ceux qui aiment à ne rien faire.

Mais le Bouddha représentait seulement une étape de la conscience. À CE MOMENT-LÀ, il était bon que ce soit ainsi, donc...

On peut concevoir que c'était une nécessité dans le tout, bien entendu. Mais tout ça, ce sont des conceptions, c'est toujours une chose mentale – j'ai eu entre les mains dernièrement une citation de Sri Aurobindo où il disait qu'il n'y a «Pas de problème que le mental humain ne puisse résoudre, s'il le veut.» (Riant) Il n'y a aucun problème qui ne puisse être résolu par le mental s'il s'applique à le faire! Mais cela m'est égal, je n'ai aucun besoin de logique mentale – je n'en ai pas besoin. Et ça n'aurait aucun effet sur mon action – ce n'est pas du tout ça, pas du tout! C'est seulement parce qu'il y a cette contradiction, qui devient de plus en plus aiguë, de la Vérité et de ce qui est. Ça devient douloureusement aigu. N'est-ce pas, cette souffrance, cette misère générale est une chose qui devient presque insupportable.

Il y avait un temps où je regardais tout ça avec un sourire – pendant longtemps. Pendant des années et des années, c'était un sourire, comme on sourit à un enfantillage. Maintenant, je ne sais pas pourquoi c'est venu... ça a été MIS en moi comme une sorte d'angoisse aiguë – qui est certainement une nécessité pour en sortir.

Pour en sortir, c'est-à-dire pour guérir, pour changer – pas pour s'enfuir. Je n'aime pas les fuites.

C'était ma grande objection aux bouddhistes: tout ce que l'on vous conseille de faire, c'est simplement pour vous donner la possibilité de vous enfuir – ce n'est pas joli.

Mais changer, oui.

(silence)

Il y a de ces vers, tout d'un coup, qui sont si magnifiques! Ils viennent avec une telle puissance, et puis écrit, ce n'est plus ça.

N'est-ce pas, on VOIT ça, cette image du masque de la Mort qui couvre la face du Suprême.

C'est admirable.

Tellement intense.

Et alors ce Pouvoir ignorant qui a pris charge de la terre et qui en a fait... qui a «semblé» être, SEMBLÉ être la Volonté du Suprême.

C'est tellement plein de signification.

 

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