70 (Examine-toi sans pitié, alors tu seras plus charitable et plus...)
70 — Examine-toi sans pitié, alors tu seras plus charitable et plus compatissant pour les autres.
Très bien!
C'est très bien, très bon pour tout le monde, surtout pour les gens qui se croient très supérieurs.
Mais vraiment, cela correspond à quelque chose de très profond.
Justement, c'est une expérience que j'ai depuis quelque temps. C'est presque comme un renversement d'attitude.
Au fond, les hommes se sont toujours pris pour des espèces de victimes harcelées par les forces adverses; et ceux qui sont courageux se battent, les autres se lamentent. Mais de plus en plus, j'ai une vision très concrète du rôle que jouent les forces adverses dans la création, de leur nécessité pour ainsi dire absolue, pour qu'il puisse y avoir progrès et que la création redevienne son Origine. Et la vision si claire qu'au lieu de demander la conversion ou l'abolition des forces adverses, c'est sa propre transformation qu'il faut accomplir, pour laquelle il faut prier, qu'il faut effectuer. Ceci, au point de vue terrestre, je ne me place pas au point de vue individuel — le point de vue individuel, on le sait —, c'est au point de vue terrestre. Et c'était la vision, tout d'un coup, de toutes les erreurs, de toutes les incompréhensions, de toutes les ignorances, de toutes les obscurités, et, pire que cela, de toutes les mauvaises volontés de la conscience terrestre, qui se sont senties responsables de la prolongation de ces êtres et de ces forces adverses, et qui les ont offerts dans une grande aspiration — plus qu'une aspiration, une sorte d'holocauste — pour que les forces adverses puissent disparaître, qu'elles n'aient plus de raison d'être, qu'elles ne soient plus là comme des indicatrices de tout ce qui doit changer.
Elles étaient rendues obligatoires par toutes ces choses qui étaient des négations de la vie divine ; et ce mouvement d'offrande de la conscience terrestre au Suprême, avec une intensité extraordinaire, était comme un rachat, pour que les forces adverses puissent disparaître.
C'était une expérience très intense qui se traduisait comme cela : "Prends toutes les fautes que j'ai commises, prends toutes ces fautes, accepte-les, efface-les, pour que ces forces puissent disparaître."
Cet aphorisme, c'est ça à l'autre bout, c'est ça dans son essence. Tant qu'une conscience humaine aura en elle la possibilité de sentir, d'agir, ou de penser, ou d'être contrairement au grand Devenir divin, il est impossible d'en blâmer un autre; il est impossible de blâmer les forces adverses, qui sont maintenues dans la création comme le moyen de vous faire voir et sentir tout le chemin qui est à faire.
(silence)
L'état dans lequel je me trouvais était comme un souvenir — un souvenir qui est éternellement présent — de cette Conscience d'Amour suprême que le Seigneur a émanée sur la Terre, dans la Terre — dans la Terre — pour la ramener à Lui, parce que c'était vraiment la descente dans la Négation divine la plus totale, la négation de l'essence même de la Nature divine, par conséquent l'abandon de l'état divin pour accepter l'obscurité terrestre et ramener la Terre à l'état divin. Et à moins que cet Amour suprême ne devienne tout puissamment conscient, ici, sur la Terre, le retour ne pourra jamais être définitif.
Cette expérience est venue après la vision du grand Devenir divin,1 et je me demandais : "Puisque ce monde est progressif, puisqu'il devient de plus en plus le Divin, est-ce qu'il n'y aura pas toujours ce sentiment, si profondément douloureux, de la chose qui n'est pas divine, de l'état qui n'est pas divin par rapport à celui qui doit devenir; est-ce qu'il n'y aura pas toujours ce qu'on appelle des "forces adverses", c'est-à-dire quelque chose qui ne suit pas harmonieusement le mouvement?" Alors la réponse est venue, la vision est venue : non, c'est justement le moment de cette possibilité-là qui est proche, le moment de la manifestation de cette essence d'Amour parfait, qui peut transformer cette inconscience, cette ignorance et cette mauvaise volonté qui en est la conséquence, en une progression lumineuse, joyeuse, assoiffée de perfection, toute compréhensive.
C'était très concret.
Et cela correspond à un état où l'on s'identifie si parfaitement à tout ce qui est, que l'on devient tout ce qui est antidivin, d'une façon concrète, et qu'on peut l'offrir — qu'on peut l'offrir, qu'on peut vraiment le transformer par l'offrande.
Au fond, c'est cette espèce de volonté de pureté, de Bien, dans les hommes (qui se traduit dans la mentalité ordinaire par le besoin d'être vertueux) qui est le grand obstacle au vrai don de soi. C'est à l'origine du Mensonge, et surtout à la source même de l'hypocrisie: le refus d'accepter de prendre sur soi sa part du fardeau des difficultés. Et c'est cela que Sri Aurobindo a touché dans cet aphorisme, tout droit, d'une façon très simple.
N'essayez pas d'avoir l'air vertueux. Voyez à quel point Vous êtes uni, un avec tout ce qui est antidivin, prenez votre part du fardeau, acceptez d'être, vous-même, impur et mensonger, et comme cela vous pourrez prendre l'Ombre et la donner. Et dans la mesure où vous êtes capable de la prendre et de la donner, alors les choses changeront.
N'essayez pas d'être parmi les purs. Acceptez d'être avec ceux qui sont dans l'obscurité; et dans un amour total, donnez tout ça.
21 janvier 1962
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